Par Dr. Arissara Sopawong and Amornrat Rangsiwiwat

L’aquaculture est devenue essentielle à l’échelle mondiale pour stimuler la croissance économique et subvenir aux besoins de subsistance (FAO 2020). Alors que la consommation humaine continue de croitre en parallèle avec la croissance démographique, la production aquacole devrait donc augmenter considérablement. Cependant, les coûts croissants de production, entraînés par les dépenses élevées et la variabilité de la qualité des ingrédients, représentent une contrainte pour les aquaculteurs qui cherchent à maintenir leur rentabilité. Vis-à-vis cette contrainte, l’utilisation du périphyton en aquaculture offre une solution prometteuse en réduisant les coûts d’alimentation, en fournissant des habitats naturels aux micro-organismes et en servant de pépinières et de refuges aux animaux aquatiques. De plus, le périphyton se comporte comme un mécanisme d’élimination des nutriments, contribue à la gestion de la qualité de l’eau, et peut servir à assainir les bassins dans les systèmes d’aquaculture.
À propos du périphyton
Le périphyton fut défini pour la première fois en 1928 (à partir de péri = autour et phyton = plante). De nos jours, le mot périphyton est souvent employé de façon interchangeable avec “biofilm” ou “aufwuchs” pour décrire les organismes attachés aux substrats, y compris les planctons et les détritus (Azim 2005). Sur le plan scientifique, le périphyton est un micro-écosystème constitué d’une matrice complexe de mucopolysaccharides (longues chaînes de molécules de sucre) liée par une communauté de micro-organismes autotrophes (organismes qui produisent leur propre nourriture, par exemple les plantes et les algues) et de micro-organismes hétérotrophes (organismes qui consomment soit des producteurs de nourriture, soit des aliments produits, par exemple les invertébrés) (Carvalho 2018). Ces communautés englobent une grande diversité de micro-organismes comprenant du phytoplancton, des diatomées, des bactéries, des champignons, des protozoaires, du zooplancton et de petits invertébrés (Azim 2005; Sanli 2015).
Lors du traitement des eaux usées, le mot ‘biofilm’ s’applique aux bactéries et aux protozoaires qui favorisent la minéralisation et améliorent la qualité de l’eau. Ces définitions démontrent donc que le périphyton constitue l’un des maillons importants des chaînes alimentaires dans les écosystèmes aquatiques. Les communautés de périphyton jouent un rôle important dans l’écosystème aquatique naturel grâce à leur impact sur la production primaire, les réseaux trophiques, la matière organique et le recyclage des nutriments (Battin 2003; Cantonati 2014).
Comme mentionné ci-dessus, le périphyton se fixe généralement aux surfaces ou aux substrats dans la colonne d’eau. Ces substrats fournissent un habitat et un abri à divers organismes vivants, notamment des micro-organismes, des poissons, du phytoplancton, du zooplancton et d’autres invertébrés, qui peuvent utiliser ces secteurs pour frayer et se réfugier (Fontanarrosa 2019; Sopawong 2023). De plus, les substrats peuvent servir d’additifs alimentaires pour les animaux d’élevage, améliorer la qualité de l’eau, favoriser l’élimination des nutriments et augmenter la production animale aquatique dans les systèmes d’élevage (Wang 2014).
Facteurs influençant la formation du périphyton
La diversité et la composition du périphyton sont influencées par plusieurs facteurs tels que la durée d’immersion, le courant d’eau, le genre de substrat, la chimie de l’eau, la pression du pâturage, la disponibilité des nutriments, la température et la lumière (Lamprecht 2022; Nolan 2023). Ces composants peuvent être affectés et par des facteurs abiotiques et par des facteurs biotiques, qui peuvent interagir de manière synergique ou antagoniste. Par exemple, des études ont démontré que la disponibilité des nutriments et de la lumière joue un rôle crucial dans la formation des communautés de périphyton. En effet, un enrichissement en nutriments change la composition de la communauté, de la dominance des diatomées à la dominance des algues vertes (Calvo 2022). La compréhension de l’interaction complexe de ces facteurs est indispensable pour prédire et gérer les fonctions écologiques du périphyton dans les écosystèmes aquatiques. Cette importance souligne la nécessité de recherches approfondies pour tirer au clair les rapports complexes régissant la dynamique du périphyton et le cycle des nutriments.
Les facteurs abiotiques tels que la lumière, le pH, la température et la disponibilité des nutriments jouent des rôles essentiels dans la formation et la structure des communautés de périphyton sur les substrats (Bisht 2023). La disponibilité de la lumière a un effet marqué sur la température et un impact sur la croissance des organismes au sein du périphyton, les algues devenant souvent la composante prédominante de ces communautés (Huang 2023). Une mauvaise gestion de l’eau des bassins menant à l’eutrophisation peut entraîner la croissance d’algues vertes denses et filamenteuses qui réduisent la pénétration de la lumière nécessaire à la formation du périphyton sur les substrats submergés et sur les racines des plantes, algues qui, finalement, affectent l’intégrité de la communauté du périphyton (Wu 2011). La compréhension de l’interaction entre les facteurs abiotiques comme la lumière et les niveaux de nutriments est une considération essentielle pour gérer et préserver la stabilité des communautés de périphyton dans les environnements aquatiques.
La température joue un rôle crucial dans divers processus métaboliques des organismes vivants, notamment dans les activités enzymatiques, la respiration et la photosynthèse, processus qui à leur tour peuvent modifier la formation du périphyton (Sun 2022; Liu 2023). Les températures élevées peuvent provoquer un stress thermique chez les algues benthiques, entraînant ainsi une dégradation des communautés de périphyton (Marasco 2023). De plus, la disponibilité des nutriments dans la colonne d’eau, en particulier l’azote et le phosphore, est indispensable pour améliorer la biomasse et la diversité du périphyton sur les substrats submergés, affectant ainsi les communautés de périphyton (Zhang 2023). La compréhension de la relation complexe entre la température, les niveaux de nutriments et les activités métaboliques est essentielle pour prédire et gérer la dynamique de la formation du périphyton dans les écosystèmes aquatiques.
Le débit d’eau peut affecter les communautés périphytiques. Des vitesses d’écoulement élevées telles que celles produites par l’inondation ou l’aération forte peuvent influencer l’épaisseur de la couche limite du périphyton (Han 2018). La sédimentation peut augmenter la turbidité dans la colonne d’eau, ce qui réduit la photosynthèse chez les producteurs primaires.
Le pâturage, un facteur biotique courant, a un effet considérable sur les communautés végétales et périphytiques. Des recherches soulignent que des pressions de pâturage différentes peuvent modifier la composition des communautés microbiennes dans la rhizosphère. Ces modifications enrichissent les micro-organismes bénéfiques comme les champignons mycorhiziens et les rhizobactéries, qui sont eux-mêmes en corrélation positive avec les métabolites racinaires tels que les acides aminés et les acides organiques (Yuan 2023).
De plus, certains substrats sélectionnés pour freiner les agents pathogènes peuvent constituer un moyen alternatif de contrôle des espèces nuisibles. Cai (2017) et Trentin (2013) ont découvert qu’un substrat de bambou peut empêcher la formation de Flavobacterium columnare et de Pseudomonas aeruginosa en raison du fait que les tanins du bambou peuvent entraver la formation de périphyton contenant ces espèces microbiennes. C’est donc pourquoi certains pisciculteurs utilisent du bambou dans leurs bassins afin de réduire les épidémies.
C’est ainsi que le périphyton constitue une approche respectueuse de l’environnement et une alternative efficace pour les pisciculteurs qui souhaitent pratiquer une aquaculture durable.
Applications du périphyton à l’aquaculture
Le périphyton joue un rôle important en aquaculture parce qu’il a la capacité de se former dans des environnements différents et ce grâce à une technologie à faible coût et un entretien simple. Il contribue à la disponibilité alimentaire et constitue la base du réseau trophique dans les écosystèmes aquatiques où le périphyton améliore la qualité de l’eau (Kumar 2017), fournit un habitat aux micro-organismes et aux invertébrés (Fontanarrosa 2019) et augmente la production d’animaux aquatiques (Kumar 2017; Jha 2018).
De plus, la filtration par le périphyton est reconnue comme étant une technologie de biorestauration efficace dans le traitement des eaux polluées (Shabbir 2017). Le périphyton peut donc être utile en tant que méthode alternative pour améliorer la qualité de l’eau et favoriser la production d’animaux aquatiques d’élevage. L’on a aussi démontré que le périphyton encourage une croissance accrue des poissons et des crevettes (Keshavanath 2017; Kumar 2017) et est vu comme un aliment nutritionnel naturel qui contient 23 à 30 % de protéines, 2 à 9 % de lipides, 25 à 28 % d’extrait sans azote (ESA) et 16 à 42 % de cendres (Dam 2002; Thompson 2002). De plus, des acides gras tels que les acides gras polyinsaturés (AGPI) sont présents dans des sources alimentaires naturelles comme le phytoplancton et le zooplancton au sein des communautés périphytiques (Parrish 2009). Par conséquent, le périphyton peut servir de supplément alimentaire dans la culture des poissons et des crevettes.
Comment favoriser la croissance du périphyton? Voici quelques exemples
Garcia (2016) étudia la culture en cage de tilapias du Nil à base de périphyton dans un réservoir brésilien. Il utilisa des cages de 6 m3 avec et sans substrats de bambou, tout en faisant varier les densités de stockage et les régimes alimentaires. Il observa que les substrats de bambou avaient réduit l’alimentation de 32 %, raccourcit les périodes de croissance de 20 % et amélioré les niveaux d’oxygène dissous. Cependant, parce que les substrats en bambou avaient diminué le volume de la cage, la capacité de croissance des poissons les plus gros avait été limitée et la prévalence des parasites augmentée. Cette étude suggère que, quoique la culture en cage basée sur le périphyton est tout à fait capable d’améliorer la croissance des poissons et de réduire les coûts, des recherches supplémentaires seront nécessaires afin d’optimiser ce système et d’évaluer sa faisabilité dans des milieux aquacoles différents.
Muthoka (2021) étudia dans des bassins en terre les effets de la technologie du périphyton sur la croissance et le comportement de reproduction du tilapia du Nil au centre d’aquaculture Sangoro du KMFRI (Kenya Marine and Fisheries Research Institute). Les bassins furent traités avec de la chaux, fertilisés avec du fumier de poulet et équipés de poteaux d’eucalyptus comme substrats. Les chercheurs constatèrent que les bassins enrichis en périphyton entraînaient des taux de survie améliorés, des résultats de croissance meilleurs et une conversion alimentaire plus efficace par rapport aux bassins témoins. De plus, la technologie du périphyton retarda le comportement reproducteur et augmenta la fécondité. L’étude suggère que cette technique peut améliorer la croissance du tilapia, réduire la reproduction excessive et minimiser le besoin d’hormones synthétiques, offrant ainsi une alternative durable à l’élevage du tilapia. Des recherches supplémentaires sont recommandées pour explorer l’emploi de la technologie du périphyton au lieu des hormones synthétiques dans les écloseries de tilapia.
Santhiya (2024) étudia la variabilité provoquée par des substrats naturels différents tels que les coques de noix de coco, la fibre de coco et les poteaux de bambou fendus sur la production de périphyton dans des bassins de terre remplis d’eau de mer. Les substrats furent immergés verticalement à des profondeurs variables (0-40 cm, 40-80 cm et 80-120 cm) pendant 45 jours, et des échantillons de périphyton furent prélevés périodiquement. L’étude révéla que la fibre de coco surpassait considérablement les autres substrats quant aux gains de biomasse et de teneur en chlorophylle a, notamment à la profondeur la plus faible. Les substrats naturels ont également amélioré la qualité de l’eau, réduit les niveaux de nitrate, augmenté l’oxygène dissous et fourni une source de nourriture naturelle aux animaux aquatiques, menant ainsi à de meilleurs taux de croissance et de survie tout en réduisant les coûts de production.
Contraintes
Certaines contraintes à prendre en compte proviennent de la durabilité des substrats naturels puisque ceux-ci peuvent demander un remplacement et un entretien périodique. L’installation et la gestion de ces substrats peuvent nécessiter beaucoup de travail et des compétences supplémentaires, ce qui représente un défi pour les exploitations aquacoles ayant des ressources limitées. De plus, les impacts écologiques à long terme dus à l’accumulation de matériaux dégradés ou de produits chimiques utilisés dans la préparation des bassins doivent être pris en compte.
Conclusion
En vue d’améliorer la viabilité et d’aborder les contraintes de l’utilisation des substrats naturels, les recherches futures devraient envisager d’étudier la réaction cellulose-eau et de développer des matériaux durables propices à la croissance du périphyton tout en libérant moins de produits chimiques dans l’écosystème. De plus, l’amélioration des techniques d’installation afin de les rendre plus commodes et efficaces, l’évaluation de la viabilité économique des substrats de périphyton et l’étude de leur mise en œuvre dans des systèmes d’aquaculture différents sont aussi recommandées. Les progrès obtenus augmenteront l’efficacité des substrats et leur adoption et encourageront les pratiques aquacoles durables et respectueuses de l’environnement. Grâce à l’optimisation des matériaux utilisés, au perfectionnement des méthodes de leur installation et à l’évaluation de leur faisabilité économique, l’intégration du périphyton dans les systèmes d’aquaculture pourra être maximisée. En fin de compte, l’emploi de ces substrats dans des installations d’aquaculture diverses avantagera l’aquaculture durable et permettra aux petites exploitations d’adopter ces pratiques de manière efficace et rentable.
